NOTHINGNESS / PRESSE
PAR DIDIER BECLARD.
J’aime beaucoup le travail de Maria Eugenia, j’ai donc été revoir «Nothingness», actuellement présenté au Théâtre de la Vie et vous encourage à en faire autant.
Un moment suspendu, entre fin et recommencement.
Une bâche de plastique transparent jonche le sol, d’autres pendent du plafond, l’une comme une paroi derrière laquelle on devine la silhouette d’un homme, l’autre qui a la forme d’un abri, comme une grotte. Au centre du plateau, un corps de femme est imbriqué dans un enchevêtrement de chaises, seuls reliefs d’une réalité qui semble aujourd’hui disparue. Elle reprend conscience, lentement, et s’extirpe de sa cage, elle reste au sol en gardant le contact avec le métal. Elle exploredu regard les objets et cet environnement, le sol, la grotte. Elle se couche sous une chaise pendant que l’homme, assis, recule vers le centre du plateau, en poussant une chaise avec son dos avant de s’y asseoir. Pendant ce temps, la bâche de plastique qui gisait par terre s’est élevée en hauteur. Comme en apesanteur, elle prend une forme qui évoque des montagnes artificielles, des glaciers que l’on verrait au loin.
La femme et l’homme évoluent dans cet espace, indifférents l’un à l’autre, comme dans deux univers parallèles. Si elle lui adresse quelque regard, parfois avec insistance, ils ne se rencontrent pas, s’ignorent, s’évitent, avant de se retrouver brièvement, dos à dos, sur une même chaise. Ils entament alors une chorégraphie qui tient de la chaise musicale. L’espace est dégagé, ils y déploient leurs mouvements, désordonnés, chaotiques.
Au son d’une batterie, l’homme entame un solo, comme pour remplir l’espace, tandis qu’elle se retire derrière la paroi translucide. Lorsqu’elle revient, il s’en va, mais ils ne se croisent même pas, chacun empruntant un accès différent. Assis, dans le silence, face à une chaise vide, elle parle silencieusement, ses lèvres bougent sans émettre un son, comme si elle plongeait dans des souvenirs, tentait de se remémorer des choses qui ne sont plus.
Il réapparaît, à nouveau à reculons. Cette fois, le contact, physique, presque charnel, s’établit entre les deux êtres. Le dos de l’une appuyé sur le torse de l’autre, ils entament de petits mouvements ondulant, désarticulés, sans jamais perdre le contact, avant de séparer tout en restant dans la dynamique des mouvements. Ils se sont (re)trouvés, ils partagent la scène. Lui, assis entre deux chaise, elle, emportée dans une chorégraphie pleine de grâce et de volupté. Ils se rejoignent dans un sursaut de lumière et emplissent l’espace de leurs mouvements avant de se séparer et partir dans la même direction, tout en douceur, dans la lumière qui décline jusqu’à s’éteindre.
Pour « Nothingness » (néant), la troisième création de la chorégraphe et danseuse Maria Eugenia Lopez s’est inspirée d’un récent voyage dans son pays d’origine, le Venezuela. Elle y a retrouvé sa ville natale, valencia, complètement dévastée, à moitié en ruine. « Il n’y a plus personne, plus de lumière, plus de marchandise, dit-elle. Le vide est omniprésent, imposant. » Mais dans ce néant qui la sidère, elle observe la végétation sauvage qui, peu à peu, reprend ses droits sur l’espace urbain à l’abandon. Un nouvel espace de vie se dessine.
Elle envisage donc cette création comme un éloge du vide, une page blanche sur laquelle peuvent naître tous les possibles. Tiraillée en la peur du vide et le besoin de garder les traces de ce qui a existé, « Nothingness » évoque l’imprévisible et l’éphémère et se livre au vide dans toutes ses contradictions. L’angoisse y côtoie l’espoir, le calme, l’équilibre et l’envie de dépasser la rupture pour renaître, reprendre son envol.
La chorégraphie, un rien mystérieuse au début, s’affirme progressivement dans la beauté et l’élégance pour se déployer avec magnificence dans un final où Shantala Pèpe et Louis Nam Le Van Ho donnent la pleine mesure de leur talent. La pièce, créée en 2020 à quelques jours du début du confinement, n’a pas vraiment eu l’opportunité de rencontrer son public. Le Théâtre de la Vie vous offre aujourd’hui l’occasion de pallier ce manquement.
« Nothingness » de Maria Eugenia Lopez, jusqu’au 26 novembre, au Théâtre de la Vie à Bruxelles, 0489/151.551, www. theatredelavie.be.
PIEL / PRESSE
PAR DIDIER BECLARD / Demandez Le programme.
La danse dans la peau
« Piel » explore la façon dont le toucher, ou le non toucher, est influencé par les codes sociaux dans un duo intime mêlant poésie et ironie. En différents tableaux construits comme une conversation, Maria Eugenia Lopez et Florence Augendre déclinent la complexité et la beauté des rapports physiques ».
Tout commence dans un carré de lumière, au sol sur le plateau. Des voix énoncent comme des règles qui régissent les contacts entre personnes. « Distance zéro : contact pendant l’acte sexuel ou la lutte », « Deux mètres dix, trois mètres soixante, contact professionnel », « Quarante à septante centimètres, contact par les mains ». Dans le même temps, deux femmes vont et viennent dans l’espace de lumière, elles le traversent sereinement ou y atterrissent comme projetées, rejetées, hors du noir.
La lumière inonde progressivement tout le plateau. Les deux femmes entament alors une sarabande, au ralenti, une danse empreinte de respect et de distance dans laquelle les différentes parties de leur corps se frôlent sans jamais se toucher. Elles se jaugent, se toisent, comme dans une forme de découverte, d’apprivoisement mutuel. L’une met la main sur le plexus de l’autre qui semble surprise avant de prendre sa main et de la remettre au même endroit, de la toucher à la recherche du contact physique. Puis elles se respirent, se cherchent du regard, en se plantant les yeux dans les yeux, se prennent la chair, des épaules, des cuisses.
Les deux corps s’emmêlent, se nouent pour ne former qu’une seule entité. Quand l’une prend l’ascendant sur l’autre, manipulant son corps, le poussant, le mettant face contre terre, le soulevant inerte dans une forme d’empoignade. Les deux femmes s’affrontent avant de s’apaiser, s’apprivoiser, se réconcilier.
Dans « Piel » (peau en espagnol), la chorégraphe vénézuélienne Maria Eugenia Lopez aborde le toucher, le contact physique et les états corporels qui en découlent, et, en creux, les distances à respecter entre êtres humains dans une société hyper codifiée. Qu’est-ce qui est correct, incorrect, consenti ou interdit ? Dans certains pays, dans certains milieux, on ne s’approche pas à moins d’une certaine distance, on ne se touche pas, on ne se fait pas la bise. Dans d’autres, on se tape dans le dos, on tombe dans les bras l’un de l’autre, sans équivoque. Inconsciemment parfois, les rapports et des contacts physiques – autorisés ou proscrits – influent sur nos attitudes vis à vis des autres, vis à vis des autres membres de la société.
Maria Eugenia Lopez et Florence Augendre interprètent un duo intime qui évoque la diversité et la complexité des contacts physiques dans une société où le besoin, socialement mais aussi sensuellement, essentiel du toucher est bridé, voire censuré ou interdit, par les codes d’une société qui semble dresser des armures, des interdits, entre les personnes.
« Piel », créé récemment au Festival In Movement aux Brigittines à Bruxelles est un spectacle de danse introspective d’une densité émotionnelle et corporelle très forte et pourtant empreint de délicatesse et de subtilité.
http://www.demandezleprogramme.be/Piel#critique
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AMELIE BLAUSTEIN NIDDAM / Toute la Culture / Paris
Piel, la mise en lumière de Maria Eugenia Lopez. C’est ce qui s’appelle une transition chorégraphique. En clôture du festival Zoa et en ouverture du festival Signes d’automne, Florence Augendre et Maria Eugenia Lopez ont livré un intelligent pas de deux.
Un an après l’éclosion du #metoo le contact physique n’a jamais été autant problématique. Comment se toucher ? Comment être sûr d’être à la bonne distance. C’est avec des mots et dans un carré de lumière que les deux danseuses en body chair affirment les bons métrages. Puis comme dans Jérôme Bel de Jérôme Bel en 1995 elles vont d’ausculter mais dans une version troisième millénaire. Elles sont devenues des robots surpris par les actions et réactions que leurs gestes provoquent. La dérision est délicieuse et on se marre. Leur danse se fait précise dans des ouvertures d’épaules qui frisent la douleur.
https://toutelaculture.com/spectacles/danse/piel-mise-lumiere-de-maria-eugenia-lopez/
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PARISART
Pièce pour deux danseuses, Piel, de la chorégraphe Maria Eugenia Lopez, va chercher la mémoire à la surface de l’épiderme. Souvenirs tactiles de socialisation, la peau garde trace des contacts passés. Ainsi que des carences en contact physique. Pour une pièce qui interroge l’importance du toucher.
Comme la peau sert d’interface entre l’intérieur du corps et l’environnement, la première française de Piel (2018) sera le relais entre deux festivals. Créé par la chorégraphe vénézuélienne Maria Eugenia Lopez (Cie Incognita), le duo Piel [peau, en espagnol] fera la clôture du festival ZOA (Zone d’Occupation Artistique), et l’ouverture du festival Signes d’Automne. Interprété par Florence Augendre et Maria Eugenia Lopez, Piel explore une question sourde : celle du manque de contact physique. Dans des sociétés où la densification urbaine s’accompagne d’une minimisation des contacts corporels, Maria Eugenia Lopez interroge le devenir des corps non-touchés. Abordant la question par la danse, la poésie et l’humour, elle livre ainsi un duo à la fois dépouillé et magnétisé par le besoin de toucher. Entre crainte et attraction, comme dans ces musées où prime l’injonction de ne pas toucher les sculptures, aux formes pourtant toutes plus tactiles les unes que les autres.
https://www.paris-art.com/maria-eugenia-lopez-zoa-studio-regard-du-cygne-piel/
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JEAN-PIERRE VANDERLINDEN / Branchés Culture.
En cinquante minutes, les deux femmes nous proposent un voyage étonnant en différents tableaux qui évoquent la complexité et l’intensité des contacts physiques, leur beauté et leurs perceptions différentes influencée par le contexte culturel social dans lequel ils s’inscrivent.
Maria Eugenia Lopez est originaire du Venezuela et s’est formée à l’école de danse de Caracas où elle a obtenu son diplôme d’interprète. En 2001, elle arrive en France et travaille avec différents chorégraphes. Puis, en 2015, elle crée son premier solo « Versions ». Aujourd’hui, c’est avec « Piel », un duo avec Florence Augendre qu’elle nous propose son second projet chorégraphique qui a vu le jour en mars 2018 aux Brigittines à Bruxelles et qui s’est arrêté pour cinq représentations du 27 au 31 mars au Théâtre de la Vie.
« Piel » explore les sensations et souvenirs liés au touché dans ce qu’il a de plus intime et d’universel. Quel est la place du touché dans nos relations familiales, amoureuses, amicales ou sociales ? Quelles en sont les interdictions ou autres permissions implicites qui font partie des codes sociaux propres à chaque culture ? « Piel » tend à nous rappeler les souvenirs intimes qui ont marqué notre peau, les premières caresses, les contacts, les coups, les cicatrices…
La rencontre des deux danseuses est très émotionnelle, et forte en expression corporelle. Leurs corps se frôlent et se touchent, se rapprochent, leurs regards se fixent, parfois déformés par des grimaces ou des cris contenus, puis s’apprivoisent pour ne plus faire au final qu’un seul être malaxé, torturé, abandonné, apaisé. On est troublé par cette expression sensuelle et sauvage des corps parfois utilisés comme des pantins désarticulés, par ces membres emmêlés ou démantelés. Le vécu des danseuses représente une des source principale de cette recherche artistique et plus précisément leur rapport intime et spécifique au touché.
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CAROLE RÉMUS / Karoo
Comme un énorme puzzle, pourtant si court, Piel me donne les pièces qui font exister le manque, la solitude et le contact sur un plateau, parfois si vite que je me laisse aller à oublier les nuances qui vont de la distance zéro à l’éloignement total entre deux êtres.
Joué du 22 mars au 24 mars aux Brigittines dans le cadre du festival In Movement, et du 27 mars au 31 mars au Théâtre de la Vie, Piel d’Eugenia Lopez interroge par le corps et la voix les questions du toucher, de la proximité, de la mémoire et l’influence de la société et des codes sur nos rapports tactiles.
Piel s’ouvre sur une image : un carré de lumière au centre du plateau. Il délimite, cadenasse, et rend invisible ce qui n’est pas en son sein. Des voix s’élèvent, celles des danseuses qui énumèrent et expliquent les zones de proximités possibles entre deux corps : « distance zéro », « 20 à 40 cm », « 7,50 m ».
La lumière semble cadrer l’espace de mouvements et l’endroit où le contact est possible. Les voix résonnent comme un écho du comment s’approcher, s’éloigner de l’autre, de ce qu’est la proximité… S’emparant de la zone éclairée tout en la fuyant, les danseuses prennent peu à peu place dans le récit qu’elles content.
Dans l’obscurité du côté cour, un musicien fait également acte de présence, il est le troisième coéquipier des deux danseuses. La musique qu’il produit donne du sens et enveloppe le plateau sans que son corps ne soit jamais gêné par le reste du dispositif ; une âme indispensable recluse dans l’ombre, mais nécessaire. Sa présence telle une dimension supplémentaire, questionne à nouveau la proximité, lui qui envahit sans se laisser envahir, qui donne dans la distance et pourtant enveloppe l’intégralité de la performance.
Ces deux femmes sur le plateau, la façon dont elles s’éloignent et se rejoignent, suggèrent à la fois la proximité de l’autre et son absence. Ainsi, pendant une heure, les ambiances sonores entre nappes, enregistrements de voix et musique live se succèdent, dominées en un point du plateau et donnant un fil narratif à la chorégraphie… Le son colore les séquences appuyées par un travail de lumière tantôt diffuse, tantôt concentrée mais toujours chaleureuse. Je ne pourrais dire combien de tableaux différents composent la mosaïque qu’est Piel. Ils se succèdent, d’une lumière générale enveloppant tout le plateau au centre duquel les deux danseuses se rencontrent et se touchent, à deux poursuites de part et d’autre de la scène dégageant deux espaces distincts pour deux corps qui ne se rencontrent plus… Le spectacle est une succession d’images fortes, qui durant une seconde sont référencées par des œuvres d’art connues, et la seconde d’après nous rappellent simplement comment se saluer dans l’ici et maintenant occidental, pour nous le faire oublier dans les deux minutes qui suivent, en illustrant les raisons pour lesquelles toucher la poitrine d’une femme peut être ou non accepté.
Les visages soulignent les propos, je me raccroche à eux. Lorsqu’une danseuse esquisse un sourire juste après avoir évoqué le célèbre tableau représentant Gabrielle Destrée nue, je souris à mon tour, lorsqu’elle tord son visage dans une expression de douleur, puis ris, je le regarde davantage que son corps et que son ombre, son expression fait naître la proximité avec le public, je m’y retrouve. Les interactions, les rires entre les deux performeuses me ramènent à ma propre humanité et à la proximité de l’autre que je connais. Les corps uniquement vêtus de bodies couleur chair évoquant la nudité sans la montrer me fascinent et me perdent, je les observe, je vois mon corps à travers les leurs, puis plus du tout, je ne me raccroche plus qu’au sourire…
Ces deux femmes sur le plateau, la façon dont elles s’éloignent et se rejoignent, suggèrent à la fois la proximité de l’autre et son absence. Les séquences défilent à une vitesse inouïe : d’une distance zéro, on passe à un éloignement total, les images s’accumulent, je me perds, entre images et sons, le temps s’écoule sans moi, au-delà de ma propre perception. Je n’ai plus de repères temporels, le rythme du spectacle se brise et reprend. La façon dont les corps se touchent et s’éloignent m’évoque ma propre expérience, mais le rythme et la succession des images me font courir dans un labyrinthe dont j’oublie depuis combien de temps je suis prisonnière, ma proximité avec la scène et son action se réduit. Pourtant, les corps parlent toujours, appuyés par ce troisième homme de la scène et des lumières toujours changeantes…
https://karoo.me/scene/piel-distance-zero-de-la-proximite-a-loubli